Monsieur Michel JEAN a consacré l’essentiel de son activité professionnelle à la gestion de l’eau en Provence : 28 ans à la société du canal de Provence, dont 15 ans comme directeur général jusqu’en 2004. Une fois à la retraite, il a rédigé une thèse consacrée à l’histoire des grands aménagements hydrauliques en Provence, dont il a extrait un livre qui sort prochainement en librairie.
Après les ouvrages romains destinés à desservir les grands centres (Fréjus, Aix, Arles) [cf. aqueduc de Traconnade, conférence du Pr. Philippe Leveau organisée le 17 mars par l’Association Venelles Environnement], une période de grands aménagements hydrauliques s’est ouverte en Provence à la fin de la Renaissance, avec le canal de Craponne (1554), et s’est poursuivie jusqu’à nos jours avec la concession accordée en 1963 à la Société du canal de Provence.
L’objectif de M. Jean a été de sélectionner les ouvrages hydrauliques les plus importants par l’ampleur du territoire ou les populations concernés, et d’analyser les problèmes techniques ou économiques qu’ils ont résolus.
C’est ainsi qu’il nous a présenté, outre le canal de Craponne, le dessèchement des basses terres d’Arles au XVIIe siècle (réalisé par des Hollandais, qui bénéficiaient d’une concession en contrepartie de leur appui à la lutte du roi de France contre l’Empire), le projet du “canal de Provence” de Jean André Floquet au XVIIIe siècle pour alimenter en eau Aix et Marseille, l’initiative de l’archevêque de Boisgelin qui a donné naissance aux canaux des Alpines méridionales et septentrionales avant la Révolution, le canal de Carpentras créé au début du XIXe siècle, le canal de Marseille (1839) qui comporte 3 tunnels de 5 km, les travaux de François Zola dans la région d’Aix (le barrage a été construit en un an), puis le canal du Verdon.
Michel Jean s’est surtout attaché à comprendre les motivations de ces hommes et leur vision économique et sociale : A quels besoins souhaitaient-ils répondre ? Comment pouvaient-ils financer leurs ouvrages, les faire fonctionner ? En faveur de quels usages ? C’est ainsi que, outre l’alimentation en eau pour les villes et l’agriculture (l’irrigation multiplie par 3 la valeur des terres), apparaissent en premier lieu la force motrice pour les usines (on a ainsi découvert près d’Arles un parc de 16 moulins constituant le premier site industriel romain), essentiellement pour presser l’huile et moudre le blé.
Les fonds provenaient des collectivités locales mais aussi de toute l’Europe : Pays-Bas, Allemagne, Royaume-Uni.
Le partage de l’eau parmi les agriculteurs a toujours été la cause de disputes ; il a fallu attendre le XXème siècle pour que des lois soient votées : loi du 11 juillet 1907 sur le partage de la pénurie, et celle du 5 avril 1923 sur la prévention des troubles (elle obligeait à constituer des réserves). Au début des années 50, la formule Clément a été adoptée : réaliste, elle donne une certaine liberté au consommateur. Pratiquement, l’irrigation commence par le bas et remonte le canal : ainsi, chacun est servi et la ressource est répartie entre tous les utilisateurs.
Les progrès ont concerné la conception des canaux et les constructions, mais aussi les économies d’irrigation (20.000 m3/an/ha au XIXè siècle, 5 fois moins aujourd’hui). Ce qui fait qu’en ce qui concerne l’avenir, grâce au barrage de Serre-Ponçon, la Provence n’a pas de souci d’alimentation.
En conclusion, Michel Jean nous rappelle comment l’alimentation et la gestion de l’eau ont ainsi été créateurs de civilisation : en effet, il faut investir de grosses sommes alors que les rentrées d’argent sont faibles et étalées sur une longue période de temps. Pour y parvenir, il faut une vision d’avenir et une capacité de résoudre les conflits, qui sont les marques des sociétés civilisées.